mercredi 19 septembre 2012

Je ne veux pas avoir d'enfant

Non, je ne veux pas avoir d'enfant. C'est deux mots de trop dans cette phrase. Deux verbes laissés par les hasards de la langue. Mais comme ils rendent laide cette phrase !
Non, je ne veux pas.
Parce que c'est au-delà de ma volonté. Parce que même si on peut essayer de prévoir et de planifier, ça ne se décide jamais complètement. L'enfant qui arrive, on ne peut que l'accueillir, tel qu''il est, au moment où il arrive.
Je ne veux pas, parce que le désir d'enfant ça n'est que la suite logique de l'amour de l'autre. Aimer c'est accepter l'autre avec ses différences, c'est accepter de risquer sa vie à deux, accepter l'aventure de la découverte de l'Autre. Et quand on commence à apprivoiser l'autre, quand on commence à avoir été apprivoisé, quand le bruit du vent dans le blé ne nous est plus indifférent, alors, c'est un autre désir, une autre rencontre, une nouvelle aventure qui se met en chemin. Même quand on se regarde, sachant bien en vérité que ce chemin-là sera tout sauf facile. Même si on perçoit bien que c'est une aventure qui sera plutôt de l'ordre du trek de très haute montagne, même quand on sait qu'on n'est que tout petit, on ose se dire que - même si, peut-être, on n'arrivera pas au bout - on va faire un bout de route sur ce chemin.Parce que, dans ce qui se vit dans notre couple, ça fait sens. Parce qu'il nous est insupportable de se dire que cet amour de l'un à l'autre dont tant peuvent être témoins devra rester enfermé. Que cette source, prête à jaillir a été scellée.
Alors, non, je ne veux pas, c'est l'Amour qui, débordant de sa jarre, coule et jaillit, n'aillant que faire des montagnes que, de tout temps, il a raboté.

Non, je ne veux pas. C'est juste que s'inscrit en creux dans ma vie l'histoire de ce possible. C'est juste que, dans ce que tresse notre amour, on peut voir en creux l'enfant qui n'est pas là. Oh, certes, certains me diront qu'il est possible de faire vivre ce creux autrement. (De grâce, n'en faites rien). C'est juste que rien ne saurait avoir la dimension d'un être vivant qui, accompagné par notre amour se lancerait dans le grand champ de la Vie. Ni l'engagement associatif, pourtant si riche, ni la force de l'amitié, pourtant si belle, ni le savoir, les voyages, et tant d'autres richesses de la vie n'auront la profondeur d'un amour qui se donne tout entier pour donner la vie.

Non, je ne veux pas avoir. D'ailleurs, je ne peux pas avoir. Je ne parle pas d'une impossibilité physique, ni même due à la composition de mon couple. Non, je ne peux pas avoir, parce qu'on ne saurait posséder un enfant. On ne peux ni décider qui ils seront en vérité. On ne saurait que semer, continuellement, en sachant très bien, comme dans la Parabole, que toutes les graines ne germeront pas. Je suis déjà, de par mon métier, un semeur. Je ne suis qu'un des semeurs que les enfants rencontrent sur leur route. Je connais déjà la réalité de ce beau rôle d'éducateur, toujours présent, toujours en train de se retirer sur la pointe des pieds. Les enfants ne nous appartiennent pas, ils construisent leur vie, prenant ça et là, parmi les graines qu'ils auront reçues, laissant germer celles qui leur auront convenu.
Après tout, je ne saurai jamais dire mieux que le poète : 

Vos enfants ne sont pas vos enfants
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même

Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas

Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées
Car ils ont leurs propres pensées

Vous pouvez accueillir leurs corps, mais pas leurs âmes
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter même en rêve

Vous pouvez vous efforcer d'être semblables à eux
Mais ne cherchez pas à les rendre semblables à vous
Car la vie ne revient pas en arrière ni ne s'attarde avec hier

Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants, telles des flèches vivantes, sont lancés
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance
afin que les flèches soient rapides et leur portée lointaine.
Puisse votre courbure dans la main de l'Archer être pour l'allégresse
Car de même qu'Il chérit la flèche en son envol, Il aime l'arc en sa stabilité

Khalil Gibran
Extrait du recueil Le Prophète

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